Une œuvre en partage - 14e Art et santé mentale

Horizons artistiques en hôpital pédopsychiatrique

23 mai 2024

Les jeunes de la Maison de Solenn ont choisi 3 œuvres d’art contemporaines du Fonds d’art contemporain - Paris Collections. Exposé du 4 janvier au 5 avril 2024, ce magnifique accrochage a donné lieu de nombreux ateliers plastiques, une rencontre avec l’une des artistes : Alicia Paz et la création de parfums.

[Mansion I] de Nick Devereux, et [The Super-Ego, the Id, and their Ladies in Waiting] d'Alicia PAZ à l'étage des ateliers thérapeutiques

Mansion I de Nick Devereux, et The Super-Ego, the Id, and their Ladies in Waiting d'Alicia PAZ à l'étage des ateliers thérapeutiques

Un choix collectif

Le Fonds d’art contemporain - Paris Collections a transmis une liste de 10 œuvres afin que les jeunes puissent choisir les œuvres exposées.  Cette sélection a nécessité plusieurs séances menées par Martine Quillay, enseignante d’arts plastiques avec des groupes de l’hôpital de Jour. Teddy Abdou, animateur radio, a organisé un atelier-débat avec le groupe des jeunes hospitalisés à temps plein. Deux autres groupes d’adolescent.es ont été sollicité.es pour exprimer leurs préférences par Héloïse Nicolas, psychométricienne et Sandrine Bosi, infirmière. Au total, une trentaine d’adolescents ont participé à la sélection des trois oeuvres.  Ces adolescent.es de 11 à 18 ans, ont classé les 10 œuvres par ordre de préférence et ont établi une seule liste par groupe. Une fois, les listes réunies, sont apparus les lauréats:

  • Passages de l’artiste Florence DOLEAC

    Les jeunes apprécient le détournement d’une porte. Reprenant un objet du quotidien, Passages est une porte qui se déplie en plusieurs portes comme des arches évoquant une multitude de passages possibles, dont celui d'une porte normale. « Le passager » est invité à ouvrir la porte qui lui convient, minuscule, moyenne ou grande. Les jeunes se reconnaissent dans la symbolique du passage.

  • Mansion I de Nick DEVEREUX

    Cette peinture a tout d’abord séduit les jeunes car ce tableau figuratif est réaliste. Il illustre la complexité de représenter la déconstruction d’un espace et est réalisé d’après une photographie de l’artiste anglais Gordon Matta Clark ; ce dernier éventrait des bâtiments à l’abandon ou avant destruction. Le fait que cet espace qui pourrait être une « maison sans en être vraiment une » est aussi ce qui a plu aux ados de la maison de Solenn. 

  • The Super-Ego, the Id, and their Ladies in Waiting d’Alicia PAZ

    Cette œuvre a retenu leur attention par la profusion de différents matériaux employés par l’artiste pour créer ce collage. Cela génère des effets de reliefs et la présence d’une multitude de couleurs rend cette œuvre mystérieuse, dynamique.  

Profusion d’ateliers plastiques

Hôpitalisé.e.s ou en hôpital de jour pour phobie scolaire ou troubles de l’alimentation, ces jeunes bénéficient d’ateliers de médiation culturelle très variés et dans des espaces spécialement dédiés. Ces adolescent.e.s ont bénéficié de présentation de ces œuvres par une médiatrice du Fonds. À partir de cette exposition, l’enseignante d’arts plastiques, Martine Quillay a invité les jeunes à réagir plastiquement. Certains travaux ont été réalisées librement.

À l’aide de magazines, les adolescent.e.s ont repris la technique de l’artiste Alicia Paz du collage afin de créer des personnages énigmatiques. Certains jeunes ont préféré utiliser du fusain, l’aquarelle ou  la pâte à modeler.

À partir de la découverte de l'œuvre de Florence Doléac Passages, les jeunes ont exprimé ce que leur évoque l'œuvre et ont partagé ce qu'ils et elles imaginent derrière cette porte.

Est-ce qu’ils et elles la traverseraient ?  Ou non ? Quelles portes choisiraient-ils/elles ?

À la suite d'une discussion devant l'oeuvre de Florence Doléac, l’enseignante d’arts plastiques propose à un groupe de l'hôpital de jour si d'autres objets du quotidien pourraient produire un effet similaire ? L’un des jeunes pense au miroir et à l'effet de mise en abîme qui peut se produire si on en installe plusieurs face à face. Pour tenter de produire cet effet, les jeunes réalisent une série de photos à partir d'une installation de trois miroirs. En fin de séance, le duo décide de faire apparaître une main, clin d'œil à la poignée de porte.

Les premières créations

Questionner la mise en espace

L’œuvre de Nick Devereux, Mansion I, a impressionné les jeunes en raison de la maîtrise technique de l’artiste qui représente ici un espace « étrange » par le moyen de volumes peints avec un réalisme quasi photographique. Les adolescent.e.s se sont régulièrement demandé.e.s à quel autre espace, à quelle autre pièce d’un bâtiment, cette peinture pourrait renvoyer. De la cave au grenier, certains y ont aussi vu un espace propice à la déambulation telle une aire de jeu où l’on pourrait se déplacer d’un volume à l’autre. Cette œuvre leur a inspiré des architectures improbables, des fabrications en trois dimensions ou fait apparaitre un visage ou un personnage.

Comment créer un effet de volume lorsqu’on dessine ? Telle a été la question posée lors d’une séance animée par la médiatrice du Fonds. À partir de différents modèles, les jeunes ont joué avec les formes géométriques et les nuances de mêmes couleurs, afin de créer des perspectives ou l’illusion du volume, comme dans l’œuvre Mansion I de Nick Dereveux ! 

Les créations des jeunes s'ouvrent à de nouvelles dimensions

Des œuvres inspirantes

Les trois œuvres ont permis des pratiques très diversifiées où la référence à l’une ou l'autre s’est faite de manière directe ou croisée avec d’autres actions culturelles proposées dans le cadre des ateliers de médiation.

C'est le cas avec la séquence intitulée « ma super nana ». Proposée en Arts plastiques à deux groupes de l’hôpital de jour, cette séquence s'est déroulée après la visite de l’exposition au centre Georges Pompidou « Picasso, dessiner à linfini ». Les jeunes ont été contrariés par les représentations des femmes dans l’œuvre de Picasso et l’expriment fortement. Lorsque le groupe revient en salle d'art plastiques, l’œuvre de Alicia Paz, The Super-Ego, the Id, and their Ladies in Waiting exposée à côté permet de continuer cette discussion à propos de la représentation des femmes dans l’art. La peinture de l’artiste apparaît alors comme une autre possibilité de représenter des corps féminins, ici camouflés par des formes hautement colorées et dont les visages masqués ne laissent voir que des regards dirigés vers le spectateur qu’elles semblent interroger.

Afin de poursuivre cette réflexion, les jeunes sont invités, à la séance suivante, à choisir une figure féminine importante à leurs yeux et à la mettre en valeur en présentant différents aspects de sa personnalité à travers ses goûts, ses mots, ses pensées, ses qualités, ses habitudes … Les jeunes ont travaillé sur un format A3 et avec des techniques mixtes.

Regard sur le corps féminin à travers la pratique du dessin

Rencontre avec Alicia Paz

Lorsque l'artiste Alicia Paz est venue à notre rencontre, elle a souhaité faire une présentation globale de son oeuvre pour permettre aux jeunes de situer celle exposée dans l’ensemble de son parcours. Elle a beaucoup insisté sur l’importance de la copie : « singer » les maitres pour trouver son style ! Elle a évoqué la difficulté d’être peintre dans les années 80, années de ses débuts de carrière, qui délaissait ce médium. Lorsque l’artiste Alicia Paz, a réalisé la peinture The super Ego, the Id, and their Ladies in Waiting, son atelier se situait loin de son domicile londonien. Revoir son œuvre l’a replongée à cette époque où elle découpait les papiers, présents sur cette peinture, notamment lors de ses trajets en transports en commun. Elle raconte aux jeunes que si elle laissait parfois traîner quelques chutes de papiers dans le métro, elle ramassait aussi des éléments glanés durant ce trajet comme par exemple la fleur ou le gant qu’elle intègrera plus tard à sa peinture.

Ces quatre personnages féminins, mystérieux : 2 femmes masquées et 2 fillettes, la représentent. Celles qui semblent être des petites filles symbolisent ses voix intérieures qui nous disent toutes : « il faut te dépêcher, tu es en retard » ou « ce n’est pas bien ce que tu as fait ». Les jeunes relèvent le contraste entre les formes féminines colorées et le fond noir. Cela leur semble représenter une « fête » où est pourtant suggéré « une part plus sombre ». Alicia Paz insiste surtout sur la fonction du fond noir qui permet de mettre en valeur les formes colorées.

Le titre de son œuvre en anglais : The super Ego, the Id, and their Ladies in Waiting signifie Le surmoi, le ça et leurs dames de compagnie. Cette œuvre nous invite donc à entrer dans les pensées de l’artiste !

Lors de cette venue, Alicia Paz a rencontré deux groupes de jeunes :  l’un hospitalisé, l’autre en hôpital de jour et les soigant.e.s. Ces moments privilégiés permettent aux publics de découvrir la démarche et le travail fructueux de cette créatrice prolifique.

Nous remercions chaleureusement Alicia Paz pour sa fidélité et son implication qui pour la cinquième fois s’est rendue en France, dans le cadre de nos programmes de médiation.  

Immersion dans l'univers de l'artiste

Temps d’échange avec les jeunes hospitalisés
L'artiste avec la professeure d'arts plastiques de la Maison de Solenn et une chargée de médiation du Fonds d'art contemporain

Création de parfums

Cinq adolescent.e.s ont créé des parfums en s’inspirant de la peinture d’Alicia Paz. Cette proposition intègre l'atelier parfum. Ce rendez-vous hebdomadaire, encadré et animé par Pamela Roberts, experte en parfum, permet aux jeunes de découvrir un nouveau terrain d’expérience : ils s’initient à l’olfaction, à la reconnaissance des composants d’un parfum, partagent leurs ressentis très subjectifs, puis, selon leurs goûts, choisissent les matières inspirantes pour imaginer et créer leur propre parfum. Grâce à cette médiation particulière mobilisant ce cinquième sens inexploré, les adolescent.e.s  se connectent à leurs sensations, accèdent à leurs souvenirs et les communiquent, ouvrent leur imaginaire, et découvrent un nouveau médium qui les surprend. Cet atelier parfum est possible grâce à l'association CEW en partenariat avec IFF , qui fournit gracieusement tous les composants, matières premières et bases soigneusement formulées par ses parfumeur pour cet atelier, ainsi que tout le matériel.  

Un processus en cinq étapes

La première séance a été consacrée à la découverte et la compréhension de l‘œuvre. Chaque jeune a exprimé une interprétation personnelle de l’œuvre, puis écrit les mots essentiels la synthétisant. Cette liste de mots qui leur sert de référence, leur permettant de passer d'un univers des images à celui des odeurs, et de choisir les composants principaux du parfum qu'ils vont composer. L’atelier suivant a été consacré à la formulation de leur composition personnelle. Lors des trois derniers ateliers, les jeunes ont su s’accorder sur une interprétation commune pour réaliser une composition précise et soignée, en accordant leurs sensibilités et leurs interprétations personnelles de l’œuvre. Ils ont finalement décidé de créer le parfum que porterait le personnage féminin le plus grand, Super Ego.

Ils se sont accordés sur ces mots qui exprimaient leur direction olfactive : « FÉMININ, (« A LA LIMITE DE LA CARICATURE »), SOPHISTIQUÉ, FLORAL, VINTAGE ».

Leur création, avec un puissant et riche accord rose/patchouli enrichi et sophistiqué par d’autres notes florales, boisées, gourmandes et épicées, exprime tout à fait leur intention. Ils ont intitulé leur parfum Ultra Ego, le parfum de la magnifique dame richement colorée avant de l’envoyer avec une petite carte à Alicia Paz. Qui les a aussitôt remerciés pour leur « sublime parfum ». Cette intention d’envoyer leur parfum collectif à l’artiste les a bien soutenus dans les moments difficiles qu’ils ont traversés pour accorder leurs choix et créer leur parfum collectif.

 

Olfaction créative et élixirs insolites

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