Les toiles dansantes

La danse, en tant que forme d'expression corporelle, a toujours nourri l'imaginaire artistique à travers les siècles. Sa dynamique, sa beauté et son pouvoir expressif en ont fait un sujet privilégié, source de fascination pour de nombreux artistes. Au-delà de sa dimension esthétique, la danse s'inscrit aussi dans des contextes culturels et sociaux variés, où elle se mêle à des célébrations, des rituels et des émotions profondes.
La collection historique
De 1816 à 1914, période marquée par des bouleversements sociaux et artistiques, la danse a été au cœur de l'évolution des arts visuels, notamment avec l'émergence du mouvement romantique, puis impressionniste.
Les artistes de cette époque, sensibles à la recherche d’une expression individuelle, s’attachent à traduire dans leurs œuvres le mouvement, la grâce et la fluidité des danseur.euse.s, qu’ils soient sur scène ou dans la vie quotidienne. Cette approche, que l’on retrouve de manière emblématique chez Edgar Degas dans ses célèbres représentations des danseuses de l’Opéra de Paris, inspire durablement nombre de créateurs, même si ses œuvres ne figurent pas dans la collection.
Cette période fut également un moment de transition, où la danse devient un sujet privilégié pour illustrer la tension entre tradition et modernité.
Dans sa collection historique, le Fonds d’art contemporain-Paris collections ne conserve qu’un nombre très restreint d’œuvres ayant pour sujet la danse, et ce uniquement sous le pinceau de deux artistes masculins : Jean Francis Auburtin et Paul Albert Laurens.
Chez ces deux peintres, la représentation dansante reste rare, presque fugitive, mais témoigne d’un même attrait pour le mouvement chorégraphique, sa grâce éphémère et sa force expressive. Ainsi, Étude pour la ronde (1905) de Laurens, tout comme certaines scènes d’Auburtin, laissent entrevoir une sensibilité particulière à la gestuelle rythmée, inscrite dans des compositions à la fois classiques et poétiques.
La collection moderne
Avec l’avènement du XXe siècle et la modernité qui s’affirme dans tous les domaines, la danse continue de se réinventer, en particulier dans les arts visuels. La collection moderne, reflet de ces bouleversements, voit la danse comme un symbole de libération, de transformation et d’exploration des nouvelles formes de l’art. Les artistes cherchent à dépasser la simple représentation pour évoquer l’énergie et l’émotion que suscite le mouvement, tout en intégrant les avancées technologiques de leur époque — de la diffusion de la photographie et du cinéma, à l’essor de l’électricité qui transforme la lumière scénique, ou encore aux innovations liées à l’industrialisation, comme les structures métalliques ou les nouveaux matériaux synthétiques. Cette période est marquée par des créateurs qui explorent les formes et les angles, influencés par le cubisme, le futurisme ou l’abstraction, ainsi que par les premières expérimentations du ballet moderne.
Contrairement à la collection ancienne, la collection moderne du Fonds d’art contemporain-Paris Collections offre un ensemble plus nourri d’œuvres consacrées à la danse. Ces pièces, pour la plupart non datées, ont été acquises principalement entre les années 1930 et 1950, et révèlent la richesse des regards portés sur le corps en mouvement.
Dans les années 1930, La danseuse bulgare de Mania Mavro entre dans la collection. À cette époque, les femmes artistes y sont encore peu représentées. Son œuvre, aux lignes fermes et stylisées, dialogue avec La danseuse cambodgienne d’Édouard Pierre Blin, toutes deux témoignant d’un regard sensible porté sur des traditions chorégraphiques venues d’ailleurs.
Les années 1940 poursuivent cette exploration des gestuelles singulières avec une intensité nouvelle.
Allan Osterlind, fasciné par l’Espagne, capte l’ardeur de la danse flamenca dans Danseuse de flamenco et l’élan collectif des Gitanes dansant, où se déploient les volutes d’une danse populaire, vive et terrienne.
À ses côtés, Louis Berthommé Saint-André dresse avec La danseuse un portrait foisonnant, où la robe à volants et l’allure théâtrale soulignent la dimension spectaculaire du mouvement. Robert Bonfils, quant à lui, esquisse l’élégance mondaine d’une Valse, toute en retenue et en raffinement.
Dans les années 1950, les représentations s’intensifient encore, souvent en coulisse ou dans les moments de calme après l’effort. François Marcepoil peint une Danseuse vue de dos, silhouette fragile et concentrée.
André Agricol Michel décline le thème à travers trois œuvres sensibles : Danseuse au repos, Deux danseuses en coulisse et Coulisses, qui évoquent avec pudeur les instants suspendus, en marge du tumulte de la scène.
Monique Lancelot, autre figure féminine de la collection, explore quant à elle la danse avec une palette de sensations et de nuances à travers quatre dessins : Danseur et ballerine, Figure de danse, Duo et Envol. Chacune de ces œuvres suggère un fragment d’élan, un instant saisi entre équilibre et légèreté, silence et tension.
Enfin, Roger Bezombes emporte le regard vers les fastes colorés d’un Ballet espagnol, vibrant d’énergie et de tradition.
Cet ensemble dessine un panorama délicat et contrasté de la danse dans la première moitié du XXe siècle, où l’on perçoit à la fois l’attrait pour d’autres cultures, la beauté du geste, et la part cachée de l’effort et de la préparation.
À travers le regard d’hommes et de quelques femmes artistes, la danse s’écrit ici en silence, sur le papier, la toile ou le carton, comme une chorégraphie intime de l’art moderne.
La collection contemporaine
Depuis les années 1970, la collection contemporaine du Fonds d’Art Contemporain-Paris Collections témoigne d’une approche renouvelée de la danse, où le corps en mouvement devient le vecteur d’expressions multiples, à la fois sensibles, sociales et poétiques. Libérée des cadres traditionnels, la danse s’y manifeste comme un langage à part entière, un geste qui interroge les notions d’identité, de genre ou de liberté. Par-delà la scène, elle investit l’espace pictural ou sculptural, inscrivant son rythme dans la matière et dans la forme.
Cette vitalité contemporaine s’incarne dans des œuvres aux accents plus classiques, qui réaffirment la puissance évocatrice du corps dansant. La Révérence de Philippe Dereux, avec sa gestuelle sobre et recueillie, évoque une danse intérieure, presque rituelle, entre offrande et retrait. En contrepoint, Bee Jackson, championne du monde de charleston de Virginie Barré célèbre l’élan d’un corps libéré, une icône féminine haute en couleur, empreinte de joie et d’affirmation.
Enfin, avec La danse dans l’espace, Roseline Granet transpose le mouvement dans la sculpture : son œuvre, à la fois suspendue et ancrée, capte l’instant d’un équilibre, entre abstraction et incarnation. Ici, la danse ne se donne pas à voir dans l’éclat du geste, mais dans sa mémoire silencieuse, pétrie de matière et d’imaginaire.
Les nouveaux médias
Si la danse affleure timidement dans la collection ancienne et prend corps dans la modernité du XXe siècle, elle trouve, dans la collection contemporaine du Fonds d’Art Contemporain-Paris Collections, de nouvelles formes d’expression, portées par des médiums actuels et des questionnements plus vastes.
La danse y devient territoire d’exploration politique, intime, sociale ou performative. Elle se déploie en mouvements captés, détournés, transfigurés par l’image ou l’espace. Quatre œuvres vidéo en témoignent :
Dance (All Night Paris) de Melanie Manchot, qui capte l’énergie collective d’un marathon dansé, entre fête, transe et épuisement.
Udrivinmecraz de Kenny Dunkan, qui convoque le rythme effréné d’un corps en tension, traversé par les héritages caribéens;
Battle de Sabrina Belouaar, où la danse devient un espace de résistance et d’affirmation identitaire ;
et S’élever c’est d’abord être à terre de Ludivine Large-Bessette et Mathieu Calmelet, méditation poétique sur la chute et l’élévation ;
Ainsi, la collection contemporaine prolonge et transforme le dialogue entre art et danse. Le corps n’y est plus seulement motif ou sujet : il devient vecteur de récit, de mémoire, de lutte ou de lien. Une danse élargie, vivante, ancrée dans le réel comme dans l’imaginaire.
À travers ces trois grandes périodes – 1816-1914, 1914-1969 et 1970 à aujourd’hui – la danse, loin de se limiter à une simple représentation esthétique, s’impose comme un langage artistique à part entière, un vecteur de transformation, d'émotion et d’engagement.