Expérience(s) architecturale(s)

7 min 14 septembre 2022 Julie Gandini

Isa Melsheimer, "Dachgarten/Treppe", 2010, Béton, terre, plantes vertes

Galerie Jocelyn Wolff ©Isa Melsheimer

Un focus sur l’architecture montre la ville comme lieu d’expérience individuelle mais aussi collective, du vivre ensemble. Ce parcours nous interroge sur notre façon de vivre, d’habiter la ville, en se penchant sur les enveloppes architecturales qui nous protègent et qui nous isolent aussi les uns des autres. L'architecture dresse ainsi un portrait en creux de la ville et de ses habitants. Artistes dans ce parcours : Berdaguer & Péjus, Katinka Bock, Jean-Alain Corre, Florence Doléac, Yona Friedmann, Evangelia Kranioti, Isa Melsheimer, Yvan Salomone.

Berdaguer & Péjus

Depuis 1992, le duo d’artistes Christophe Berdaguer et Marie Péjus développe une recherche plastique liée à l’architecture. Ils questionnent la perception de l’espace, physique ou psychique, au travers des systèmes architecturaux.

La série Junkutopie matérialise une histoire parallèle de l’architecture, peuplée des projets non réalisés où se déploient des perspectives urbaines constituées d’éléments d’architecture hétéroclites, sans aucune unité. Dans cette photographie, un homme et une femme au premier plan, tels des personnages d’une publicité, semblent nous inviter à rejoindre leur univers oscillant entre fiction et réalité.

Katinka Bock

Les œuvres de Katinka Bock frappent par leur simplicité formelle. Elles prennent corps dans des matériaux élémentaires et organiques : bois, journaux, goudron, pierres. L’artiste souhaite utiliser ce qui est déjà disponible, en usage « au » monde. Qu’elle intervienne dans le paysage ou qu’elle conçoive des formes, des objets ou des installations pour des espaces intérieurs, Katinka Bock pense souvent au territoire. Ce qui l’intéresse, c’est l’espace de la cité et du politique, un espace défini par et pour une communauté humaine, pétri d’usages, de symboles et d’histoire.

Le Sol d’incertitude évoque la pratique archéologique. « Ici, ce qui devrait être dessous fait surface. Les pavés de Paris du Sol d’incertitude (2006) ont été dégagés du bitume qui les met hors d’état de nuire depuis 1968. Pour “boucler la boucle”, ce qui signifie souvent chez elle, rendre à son état premier par une transformation, elle a individuellement plongé ces pavés dans un bain de goudron… restituant ainsi leur potentiel révolutionnaire. » (Marie-Cécile Burnichon, Vade-mecum de l’arpenteuse). L’artiste confronte ainsi les prémices de l’urbanisme que constituent les pavés, taillés artisanalement et désolidarisés, et le revêtement industriel en goudron visant à uniformiser les rues mais aussi à lisser une histoire liée à certains conflits sociaux et politiques historiques.

Jean-Alain Corre

Jean-Alain Corre est diplômé de l’École de recherche graphique de Bruxelles et de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon. Sa pratique est multiple et faite d’assemblage, de sculpture, de dessin et de peinture. Elle s’étend dans l’écriture à travers le personnage de Johnny, « artiste poisson ascendant poisson », que l’artiste crée en 2006. Johnny, dont l’attribut fétiche est le poisson, est à la fois souffleur d’idées et de formes, moteur conceptuel et intermédiaire entre l’oeuvre et son auteur.

Associant entre autres un poisson doré, un traversin et une poubelle, Sardine Pisces Hot Reality Problem Loving You Make Me Feel Mighty Real reflète la démarche de Jean-Alain Corre. Il assemble régulièrement objets domestiques, formes standardisés et ornements divers, se fondant sur une observation du réel autant que de l’imagination.

 

Florence Doléac

Membre des Radi Designers de 1994 à 2003, Florence Doléac explore le quotidien avec humour et poésie. Elle s’interroge sur la fonction et l’utilité des objets au travers d’une réflexion décalée sur le monde domestique.

Passages est une porte aux multiples ouvertures. Le spectateur est amené à choisir l’ouverture qui lui convient et ainsi franchir le seuil vers un monde imaginaire. L’artiste exploite un objet banal que nous franchissons chaque jour, un geste anodin (ouvrir une porte), dans toutes les possibilités oniriques qu’elle nous offre : ouverture vers un ailleurs, impossibilité physique d’emprunter la petite porte. La banalité des couleurs renforce ce caractère dérisoire.

Yona Friedman

Architecte et théoricien hongrois naturalisé français en 1964, Yona Friedman développe dans son oeuvre une certaine utopie où autonomie et épanouissement de l’individu se conjuguent avec l’harmonie des relations sociales. Il défend dès les années 1950 une architecture pensée par les usagers et adaptée à l’évolution de leurs pratiques, et développe le concept de Ville spatiale.

Yona Friedman a mis au point entre 1992 et 1996 ses Gribouillis. Dans ses maquettes, il laisse la part belle à l’improvisation et témoigne du rôle de l’artiste comme incitateur plutôt que bâtisseur. S’inspirant aussi bien des dessins d’enfants, que d’éléments organiques (arbres, nuages…) ou de l’écriture automatique, il transforme ce geste simple en élément créateur. Réalisées à partir d’un ou plusieurs fi ls métalliques, les Gribouillis sont maintenus par des liens colorés ; la nature incontrôlable de la structure rejoint le côté imprévisible de la nature humaine.

Evangelia Kranioti

Photographe et réalisatrice, Evangelia Kranioti explore les marges de la société. À travers une pratique quasi anthropologique, elle renouvelle les regards portés sur des hommes et femmes laissés pour compte : marins au long cours, travailleuses du sexe, domestiques, migrants, transgenres. L’artiste fabrique des récits à partir de ces réalités vécues : des histoires de voyages, de déracinement, d’amours éphémères, d’exclusion, de découverte de l’Autre.

Guidée par la tradition maritime de sa Grèce natale et fascinée très jeune par les cartes marines, l’artiste s’est embarquée plusieurs mois sur des navires marchands. Issue de la série Exotica, erotica, etc., la photographie Desert on board montre la cale d’un cargo contenant des graines de soja qu’un marin en combinaison asperge de produit phytosanitaire. La scène prise en lumière naturelle et à l’échelle du navire suscitent un sentiment de mystère doublé de fascination. Elle montre aussi la solitude de ces marins navigants sur toutes les mers du globe des mois durant loin des leurs et de leur pays.

Isa Melsheimer

Diplômée de la Hochschule der Künste de Berlin, Isa Melsheimer interroge l’urbanisme et l’architecture à travers une pratique de la sculpture. Dans ses relectures de l’architecture moderniste sous forme de maquettes, l’artiste porte son attention tant sur le langage formel d’une construction que sur l’ensemble du projet qui la sous-tend, afin d’interroger les relations complexes qui se jouent entre forme, fonction et usage.

Dachgarten / Treppe s’inspire d’un appartement réalisé en 1929 par Le Corbusier pour Charles Beistegui. Décorateur, collectionneur parisien et fervent admirateur du surréalisme, ce dernier commande à l’architecte un lieu exclusivement destiné à accueillir des soirées festives. Le séjour, situé au dernier étage, y prend la forme d’un toit-terrasse à ciel ouvert. Entre brutalité minérale et développement organique, l’oeuvre d’Isa Melsheimer souhaite rendre compte de la relation étrange qui a uni les deux hommes le temps de ce projet, tout en développant une réfl exion plus générale sur la coexistence entre nature et architecture.

Yvan Salomone

En 1991, Yvan Salomone commence à peindre des aquarelles. Réalisées à partir de photographies prises au préalable, elles témoignent du regard particulier que l’artiste pose sur les territoires en mouvement et en déshérence que sont les ports, les périphéries urbaines, les zones industrielles, etc… La singularité du travail d’Yvan Salomone tient dans cette rencontre entre la technique de l’aquarelle, que l’on pourrait qualifier de classique, et le traitement du sujet résolument contemporain. Ce contraste entre ce procédé pictural et l’utilisation de couleurs vives participe à créer une atmosphère indicible, hors du temps et de l’espace.

Pendant 4 ans (2008 à 2011), l’artiste suit l’évolution du chantier de la ligne 3 du tramway. Commande de la Ville de Paris, ses oeuvres témoignent du bouleversement et du renouveau des boulevards des Maréchaux. Elles constituent une mémoire vive de la contemporanéité et de l’urbanité actuelle. Parmi les centaines de clichés qu’il prend, il en sélectionne trente-deux, qui deviendront autant d’aquarelles d’un même format.

En savoir plus

Parcours adapté d’après les Rencontres Inattendues, plus de 80 œuvres exposées dans des lieux du quotidien à Paris du 4 octobre au 15 décembre 2021.