Hier reconnues, aujourd’hui oubliées

30 min 08 mars 2024 Marion Denise

Hélène Dufau, Nageurs au Cap d'Antibes ou La Baignade, vers 1931

Hélène Mauri

Le Fonds d'art contemporain conserve une importante collection d’œuvres modernes et nombreuses sont celles réalisées par des femmes artistes. Reconnues lors de leur vivant, beaucoup d'entre elles sont aujourd'hui oubliées des mémoires et de l'histoire de l'art. Portraits de femmes artistes modernes : Louise Abbéma, Angèle Delasalle, Hélène Dufau, Odette Pauvert, Marie-Anne Camax-Zoegger, Alix Aymé, Marguerite Jeanne Carpentier, Jeanne Thil.

« Quand on dit d’une œuvre d’art : "C’est de la peinture ou de la sculpture de femme", on entend par là « C’est de la peinture faible ou de la sculpture mièvre », et quand on a à juger une œuvre sérieuse due au cerveau et à la main d’une femme, on dit "C’est peint ou sculpté comme par un homme". Cette comparaison de deux expressions convenues suffit à prouver sans qu’il soit nécessaire de la commenter qu’il y a un parti pris d’avance contre l’art de la femme. »

Virginie Demont-Breton, « La femme dans l’art », Revues des revues, XVI, 1er mars 1896, p. 448.

Introduction

Lorsque l’artiste Virginie Demont-Breton (1859-1935) écrit ces lignes, les femmes sont toujours exclues de l’enseignement artistique académique puisque ce n’est qu’en 1897 que l’École des Beaux-Arts de Paris finit par leur ouvrir ses portes. Il faudra attendre encore trois années pour que les femmes puissent assister aux cours d’ateliers c’est-à-dire aux cours de modèles vivants. Et ce n’est qu’en 1903, lorsque la puissance que l’Académie exerçait depuis des siècles sur le monde des arts français est en perte de vitesse et que le fameux Prix de Rome a perdu de son éclat que les femmes artistes ont l’autorisation d’y concourir. Malgré ce refus de l’École des Beaux-Arts d’ouvrir ses portes aux femmes sous des prétextes de bonne moralité, elles n’ont pas attendu de recevoir des cours académiques pour devenir artistes.
Dès les années 1860, l’ouverture d’ateliers parisiens permet aux femmes issues d’un milieu social élevé de bénéficier de cours artistiques. D’abord avec la création de l’Atelier Julian par Rodolphe Julian (1839-1907) puis dès les années 1870 avec l’ouverture d’un atelier réservé spécifiquement aux femmes par les artistes Carolus-Duran (1837-1917) et Jean-Jacques Henner (1829-1905).
Au sein d’une scène artistique chamboulée par l’émergence de courants artistiques opposés aux coutumes académiques (l’Impressionnisme pour n’en citer qu’un), les femmes artistes trouvent une place tant qu’elles se cantonnent à des genres picturaux dits « mineurs » tels que les portraits, les paysages ou encore les natures mortes. Elles parviennent ainsi à se faire remarquer en exposant dans les Salons, les galeries et aux Expositions Universelles. Largement présentes, leurs œuvres sont achetées par l’Etat, les collections publiques et par des commanditaires privées. Ces femmes artistes obtiennent des commandes publiques et privées et sont saluées par les critiques et la presse.
Malgré cette reconnaissance et cette notoriété, beaucoup de ces artistes sont tombées dans l’oubli. Considérées comme artistes « classiques », l’art de ces femmes va peu à peu passer de mode au profit des mouvements avant-gardistes du début du XXème siècle.
Entre 1900 et 1960, la Ville de Paris a acquis 13646 œuvres, aujourd’hui conservées au Fonds d’art contemporain – Paris Collections. 2444 d’entre elles ont été réalisées par des femmes artistes soit 18% des œuvres acquises durant cette période.
A travers la présentation de 8 œuvres achetées entre 1900 et 1960 et sorties des réserves du Fonds d’art contemporain, ce sont 8 femmes artistes qui vont ressortir de l’ombre. Les artistes et leur œuvre que nous vous invitons à redécouvrir sont présentées ici selon un ordre d’acquisition chronologique.

« Dans le domaine des arts plastiques (...), ne reste-t-il pas à dissiper (malgré la place faite aux artistes dans les Expositions) un courant de préjugés et de préventions, obscur et souvent inavoué, mais singulièrement puissant et tenace ? (...) Les femmes, dit-on, sont trop sensibles, trop émotives pour être de très grandes artistes. Elles sont tout amour, donc incapable de se déprendre d’elles-mêmes. »

Madeleine Bunoust, Quelques femmes peintres, 1936

Louise Abbéma (1853 – 1927)

Louise Abbéma est une artiste née en 1853 à Étampes. Issue d’une famille aristocratique, elle se forme auprès du peintre d’histoire Louis Devédeux avant de devenir l’élève des artistes Charles Chaplin, Jean-Jacques Henner et Carolus-Duran. Ces derniers dirigent ensemble un atelier ouvert aux femmes dès les années 1870. Encouragée par Carolus-Duran, Louise Abbéma présente une première œuvre en 1874 au Salon des artistes français. Les critiques sont élogieuses comme en témoigne cet extrait, où un critique d'art déclare :

« Si les femmes se mettent à peindre avec autant de crânerie, mon Dieu ! comment faudra-t-il que peignent les hommes ! »

Olivier Merson, "Le Monde illustré", 16 mai 1874
L’acclamation pour l’œuvre de Louise Abbéma ne va cesser de croître puisqu’elle exposera au Salon jusqu’en 1926, l’année précédant son décès.
A partir de 1883, elle dispose d’un atelier rue Laffite qui devient à la fois lieu de création et lieu de rencontre. Tous les jours, diverses personnalités issues de la mondanité parisienne venaient y déguster le thé. Ses racines aristocratiques lui permettent de se faire une place au sein de la haute société et bourgeoisie parisienne.
Les portraits de son amie actrice Sarah Bernhardt (1844-1923) lui ouvrent les portes de la Comédie française et lui permettent de réaliser de nombreux portraits d’actrices. Son amour pour le portrait est partagé avec celui des paysages, des affiches et dessins publicitaires, des illustrations ou encore de la peinture sur éventail.
Suivant sa devise, « Je veux », elle explore des techniques variées : peinture à l’huile, pastel, aquarelle, sculpture, gravure.
A partir de 1885, elle expose à la célèbre galerie Georges Petit et gagne en notoriété. Elle reçoit des nombreuses commandes publiques et privées.
En 1906, Louise Abbéma est décorée de la Légion d’Honneur. Elle est la troisième femme à l’obtenir après Rosa Bonheur et Virginie Demont-Breton.
Sa toile intitulée Chasse à tir est présentée au Salon des artistes français en 1910. Reproduite dans la presse américaine et britannique, l’œuvre est imprimée en carte postale démontrant ainsi son succès. La Ville de Paris l’acquiert la même année. Louise Abbéma a alors 57 ans.
Dès 1902, la Ville de Paris lui avait commandé un panneau décoratif à destination de la mairie du Xème arrondissement. En 1913, la Ville lui achète une nouvelle toile et en 1916 lui commande une œuvre pour une école parisienne.
Chasse à tir est à ce jour la seule œuvre retrouvée de l’artiste dans la collection du Fonds d’art contemporain. On y retrouve un des genres picturaux cher à l’artiste : le portrait. On y reconnait également la touche picturale de Louise Abbéma, restée plus ou moins similaire tout au long de sa carrière et révélatrice d’un succès d’une époque. Décédée en 1927, quelques journaux publieront un éloge posthume.

Angèle Delasalle (1867 – 1939 ?)

Angèle Delasalle est née en 1867 à Paris. Formée à l’Académie Julian, elle expose au Salon des Artistes français et y devient sociétaire dès 1894. L’année suivante, elle obtient une mention honorable puis une médaille de bronze en 1897 et d’argent en 1898. Son œuvre est reconnue et appréciée puisqu’elle est la première femme à obtenir une bourse de voyage par la Société des Artistes français en 1899. Elle part visiter l’Angleterre, les Pays-Bas mais aussi l’Allemagne et l’Italie.

Artiste au « talent ingénieux, multiple, qui a touché à tous les sujets, natures mortes, portraits, nus, compositions » (1), Angèle Delasalle est à la fois peintre, dessinatrice et aquafortiste.

Dès 1899 et à la suite de sa présentation au Salon, la Ville de Paris lui acquière une œuvre aujourd’hui malheureusement disparue. Il s’agissait d’une huile sur toile intitulée Un terrassier.
Au tournant du siècle, la carrière de cette artiste où son « trait remarquable […] est une énergie d’une telle force qu’il est impossible de déterminer son sexe à partir de son travail » est lancée. De ce style qualifié de « viril » par des journalistes et des critiques du monde entier, elle arrivera par surprise à être la première et la seule femme membre de l’Association Internationale des Peintres. En signant « A. Delasalle », ses toiles attirent l’attention de certains membres du jury et « Monsieur Delasalle » est donc convié à devenir un membre de l’Association.
Angèle Delasalle gagne peu à peu en notoriété et vit décemment de sa pratique artistique. Elle est souvent mentionnée dans des articles de presse et sollicitée sur des questions sociétales comme en 1911 où le journaliste et critique d’art Raymond Escholier la questionne au sujet de l’intégration des femmes à l’Académie des Beaux-Arts :
 

 

« Sérieusement, (…) cet ostracisme est révoltant. Je ne vous ferai point l’apologie des femmes de lettres ou de science, voire des femmes artistes. Je ne vous citerai point Mme Vigée-Lebrun ou Mme Sand. On me répondrait que ce sont là des exceptions. Comme si le génie n’était pas, chez l’homme, également, une exception !... Non, je vous dirai simplement. Il n’y a que l’œuvre, il n’y a que le résultat qui importe. »

Le Monde Illustré, 7 janvier 1911, p. 6.,
Elle présentera d’ailleurs sa candidature pour siéger à l’Académie en 1930 :
« Malgré ses titres, l’Académie après en avoir délibéré a résolu de suivre la tradition établie par l’Académie Française à l’égard des candidatures féminines, c’est-à-dire que la candidature de Melle Delasalle n’a pas été enregistrée. » (2).
En 1926, Angèle Delasalle expose une vingtaine d’œuvres à la galerie Palette Française. A cette occasion, un catalogue d’exposition est réalisé et le critique d’art Camille Mauclair y signe la préface (3) :

« Il y a longtemps que la personnalité de Melle Angèle Delasalle s’est placée au premier rang (…) du groupe des femmes peintres contemporaines (…) », elle est « une artiste modeste et sérieuse qui n’a cessé de travailler et de cherche avec une sincère ténacité, un grand désir de méthode et d’ordre, un beau respect de la nature et du métier ».

Lors de cette exposition, la Ville de Paris lui achète La Porte Dauphine. Jusqu’en 1939, plusieurs de ses œuvres vont enrichir la collection municipale par le biais d’achat, de commandes ou de dons de l’artiste elle-même.
L’œuvre présentée ici est un des derniers dons de l’artiste réalisé en 1934. Il s’agit d’un dessin intitulé Lion couché, tête de lion.
Angèle Delasalle réalisait de nombreux dessins et d’esquisses d’animaux comme le relate ces extraits d’articles de journaux français et américains :

« Ce fût vers 1895, au cours de longues promenades dans la solitude matinale du Jardin des Plantes, que l’artiste découvrit dans les lions, les panthères, les tigres captifs, de magnifiques modèles » (4) et « Les croquis au crayon noir qu'elle a exposés dans les différents Salons prouvent la sûreté de sa main. Elle a réalisé de nombreux dessins d'animaux et s'est volontiers soumise à la fascination de la famille des félins. Elle a étudié longuement et sérieusement le lion et le tigre. Ses études du premier sont d'un haut niveau et elle a rendu de manière impressionnante l'insondable mélancolie de la brute captive » (5).

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Angèle Delasalle est décédée…ou non… Plusieurs sources indiquent qu’elle serait décédée en 1939, d’autres en 1941.


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(1) Madeleine Bunoust, Quelques femmes peintres, 1936, p. 52.
(2) L’Ouest-Éclair, 19 janvier 1930, p. 2
(3) Camille Mauclair, Préface du catalogue d’exposition Exposition Angèle Delasalle du 12 au 26 mars 1926 à la Palette Française, 1926.
(4) Raymond Escholier, « Angèle Delasalle », in. Gazette des beaux-arts : courrier européen de l'art et de la curiosité, 1er juillet 1912, p. 330.
(5)The Magazine of Art, 1902, p.353

Hélène Dufau (1869 – 1937)

Clémentine-Hélène Dufau, dite Hélène Dufau, est née en 1869 à Quinsac en Gironde. En 1888, elle s’installe avec ses parents à Paris et commence à suivre des cours artistiques. Issue d’un milieu aisée, elle s’inscrit à l’Académie Julian (1).
Elle expose au Salon des artistes français dès 1895 et y adhère en 1898. Ses œuvres sont bien reçues par la critique et elle commence à recevoir des commandes. Elle réalise notamment l’affiche du lancement du journal féministe La Fronde, fondé en 1897 par Marguerite Durand (1864-1936).
Artiste connue et reconnue, Hélène Dufau reçoit également des commandes publiques et l’on fait appel à elle pour décorer des édifices publics comme La Sorbonne. Elle reçoit la Légion d’Honneur en 1909.
En 1925, elle s’installe à Antibes où elle se fait construire un atelier (2).
Loin de la foule parisienne, sa technique et sa touche changent et évoluent. Elle continue de présenter ses œuvres aux salons parisiens où le public l’accueille à bras ouverts : en 1928, le journal féminin Minerva après résultat d’un sondage réalisé auprès de ses lecteurs, la nomme « Princesse de la Peinture ». Hélène Dufau a le droit à une pleine page sur la quatrième de couverture du numéro du 8 avril 1928.
Son tableau intitulé La Baignade qui en réalité est titré Nageurs au Cap d’Antibes o par l'artiste, est présenté au Salon d’Automne en 1931 et au Salon des Femmes Artistes Modernes en 1932.

« Cette toile, qui "offr[e] au soleil des corps, qui ne sont point nus comme tous ceux que jusque-là Hélène Dufau a magnifiés en ses tableaux.", est "une page de la vie de son temps que le peintre a fixée.". »

Henri Jeanpierre, "Hélène Dufau Peintre, au temps du Symbolisme", 1977, p. 27.
L’œuvre est achetée par la Ville de Paris à la demande de l’artiste en 1935. A cette date, Hélène Dufau connait des difficultés financières : elle a été radiée de la liste des membres de la Société des Artistes français pour non acquittement de sa cotisation annuelle et n’arrive plus à vivre décemment de son art.
Le 13 septembre 1935, elle écrit au Directeur des Beaux-Arts de Paris :

« Toutes les formalités étant remplies, je n’attends plus que l’envoi du prix de 4000 fr… Et cette attente devient angoissante et même tragique si elle se prolonge (…). J’ai engagé certains travaux de réparations « indispensables et urgentes », à la toiture de mon studio dans l’espoir que sa location puisse devenir pour moi un moyen de vivre » (3).

De constitution fragile depuis l’enfance, Hélène Dufau doit effectuer de nombreux séjours hospitaliers. Avec l’aide d’ami.e.s, elle est transférée de l’hôpital de Nice à l’hôpital Saint-Michel à Paris où elle s’éteignit le 18 mars 1937. D’aucun des journaux qui l’encensaient encore dix années auparavant n’écrivirent un article sur sa disparition.

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(1) Ecole privée de peinture et de sculpture fondée en 1868 par le peintre Rodolphe Julian.
(2) C’est cet atelier que l’artiste Nicolas De Staël louera quelques années plus tard et y travaillera jusqu’à sa mort, qu’il se donna volontairement en 1955.
(3). Lettre d'Hélène Dufau au Directeur des Beaux-Arts de la Ville de Paris du 13 septembre 1935, Archives de Paris - Fonds Perotin

Odette Pauvert (1903 - 1966)

Odette Pauvert naît à Paris en 1903 dans une famille d’artistes : ses deux parents sont peintres et miniaturistes. Suivant des cours de dessins depuis sa jeune enfance, elle intègre l’École nationale des Beaux-Arts en 1922. Dès 1923 elle expose au Salon des artistes français et obtient une médaille d’argent. En 1924 elle y reçoit une médaille de bronze. Mais c’est en 1925 que son art est récompensé pour son oeuvre La Légende de saint Ronan :

Odette Pauvert devient la première femme peintre à obtenir le prix de Rome.

Elle part donc séjourner à la Villa Médicis à Rome pour trois ans. Au cours de son séjour, elle visite l’Italie et s’inspire des artistes du Quattrocento. Ses œuvres envoyées au Salon durant cette période lui valent admiration et récompense. Elle réalise notamment une peinture la représentant aux côtés de ces homologues masculins ayant gagné le prix de Rome en architecture, en musique et en sculpture (1).
Après son retour en France, l’Académie des Beaux-Arts lui attribue une bourse pour la Casa Velasquez à Madrid en 1933. Elle y séjournera durant toute l’année 1934. La découverte de ce pays est favorable à son art puisqu’à son retour elle présente vingt-et-une peintures et trente-six dessins à la Galerie de la Renaissance à Paris.
Son amour pour l’Espagne transparaît dans un entretien radiophonique de 1935 où Odette Pauvert déclare :

« Quant au pays, avec sa lumière, ses aspects tourmentés, sa violence de couleur, ses types pittoresques, ses architectures d’Orient, il appelle la peinture !... J’ai voyagé, fait des croquis, pris des notes. J’ai vu naturellement les villes célèbres, mais je me suis attardée surtout dans les étonnantes petites villes, pittoresques jusqu’à l’extraordinaire. Je fais le rêve de m’y enfermer un jour avec de grandes toiles. »

Extrait d’un entretien radiophonique accordé à Odette Pauvert le 2 décembre 1935 : « A travers l’Actualité : Mlle Pauvert la 1ère femme Grand Prix de Rome de Peinture », in. "Odette Pauvert (1903-1966):première femme Grand prix de Rome de peinture", catalogue d'exposition, Poitiers, musée Sainte-Croix, 1986, p. 25.
En 1935, Odette Pauvert présente huit œuvres réalisées en Espagne ou inspirées de son séjour au Salon des artistes français.Vieux musicien aveugle, Espagne est acheté par la Ville de Paris. C’est la première œuvre de l’artiste que la collection municipale acquière. Elle écrira une lettre de remerciement au Directeur des Beaux-Arts de la Ville de Paris :

« Je suis très heureuse et honorée que la Ville de Paris devienne acquéreur d’une de mes œuvres. » (2).

Durant les années qui suivirent son séjour espagnol, Odette Pauvert répondra à plusieurs commandes publiques et privées de décorations d’édifices et pour des expositions. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle réalisera surtout des miniatures.
Bien qu'elle présentera des œuvres au Salon des artistes français jusqu'à la fin de sa vie, "1945 [avait] sonner le glas de ce type de carrière. Plus de commande d’État, plus de commande pour les édifices religieux, où il sera fait appel à des artistes hommes, plus modernes." (3).
Odette Pauvert décèdera en 1966. Le Salon lui organisera une exposition à titre posthume en 1968 et une exposition lui sera consacrée en 1986 à Poitiers. Aucune monographie sur sa vie et son œuvre n'est éditée à ce jour.

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(1) Il s'agit respectivement d'Alfred Audoul, de Louis Fourestier et d'Evariste Jonchère.
(2) Lettre d’Odette Pauvert au Directeur des Beaux-Arts de la Ville de Paris le 16 août 1935, Archives de Paris - Fonds Perotin.
(3) Catherine Gonnard, Élisabeth Lebovici, Femmes artistes, artistes femmes : Paris, de 1880 à nos jours, 2007, p. 182.

Marie-Anne Camax-Zoegger (1881 – 1952)

Née en 1881 à Paris, Marie-Anne Camax-Zoegger vient d’une famille proche des milieux de l’art. Son père, statuaire et décorateur qui a travaillé auprès de Viollet-le-Duc, est un proche du peintre Jean-Jacques Henner. Ce dernier va encourager Marie-Anne Camax-Zoegger à suivre une voie artistique.
Après une formation à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, elle participe au Salon nationale des beaux-arts dès 1912 (1).
Elle exposera également à la galerie Georges Petit (en 1927 et 1929), au salon des Tuileries (de 1930 à 1941), au salon des Indépendants (de 1923 à 1953). Entre 1914 et 1922, elle fait partie de l’Union des femmes peintres et sculpteurs (2).
En 1929, elle prend la présidence du Syndicat des femmes peintres et sculpteurs à la suite de Thelika Rideau-Paulet qui l’avait fondé en 1904. La même année, à l'occasion de son exposition à la galerie Georges Petit, l'influent critique d'art Louis Vauxcelles signe l'avant-propos du catalogue :

 

« Personnelle, elle fait mentir la légende qui prétend que l'art féminin est assimilation : son dessin ferme et fin, l'élégance de ses arabesques, la cadence de sa composition, le charme de son coloris sont à elle et à elle seule. »

Louis Vauxcelles, Catalogue d'exposition "Camax-Zoegger", 16 au 31 mai 1929, Galerie Georges Petit
Aidée par sa reconnaissance artistique, Marie-Anne Camax-Zoegger souhaite faire reconnaitre le travail artistique des femmes à l’égal de celui des hommes.
Selon elle, l’Union des femmes peintres et sculpteurs a perdu de sa grandeur et il faut créer une nouvelle société de femmes artistes.
Avec l’aide d’Hélène Dufau qui lui fournit de nombreux contacts de femmes artistes, Marie-Anne Camax-Zoegger fonde en 1930, la Société des Femmes Artistes Modernes (F.A.M.) dont elle sera la présidente. Les F.A.M. exposeront une fois par an à Paris de 1931 à 1938 mais aussi à l'étranger (comme à Prague en 1937).
Dès les années 1920, la Ville de Paris acquière des œuvres de l'artiste. Son tableau intitulé Bord de rivière est acheté à la suite de sa présentation au Salon des Tuileries en 1938. Le sujet et l’esthétisme de cette toile s’inscrit dans l’œuvre de Marie-Anne Camax-Zoegger qui représentait régulièrement des paysages inspirés de ses séjours dans sa propriété à Etréchy.
En 1936 déjà, le critique d’art Paul Sentenac mentionnait dans un article de plusieurs pages consacrées à l’artiste, ses « peintures d’arbres [qui] s’imposent toujours à l’attention. » ; il y expliquait que Marie-Anne Camax-Zoegger « semble se plaire particulièrement, depuis quelques années, à couvrir la toile de gammes de verts, mais elle œuvre avec trop de liberté et d’amour pour refaire le même tableau. » (3).
Cet attrait pour la nature et sa représentation pour les paysages sera salué par le monde de l’art dans les années qui suivirent son décès. Andry-Farcy (1882-1950), fondateur du premier musées d’art contemporain à Grenoble déclara au sujet des toiles de Camax-Zoegger :

« Elles sont construites par des valeurs de lumière et par des valeurs de matière… Dès que je m’éloigne de quelques pas, la toile s’anime, elle vit réellement, elle est debout, elle me regarde ! »

Andry-Farcy, cité par René Héron de Villefosse, conservateur en chef des Musées de la Ville de Paris, in. « Marie-Anne Camax-Zoegger, Louise Hervieu, Suzanne Valadon, Musée Galliera mai-juin 1961 », 1961, p. 1.


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(1) Le Salon nationale des beaux-arts (SNBA), surnommé « La Nationale », est fondé en 1862 mais c’est en 1890, sous la présidence de l’artiste Ernest Meissonier, que l’exposition organisée connait un véritable retentissement. Le SNBA souhaite se détacher de l’autoritarisme académique du Salon des artistes français et encourager les artistes à une nouvelle créativité. Dès la première édition, le Salon accueille les femmes artistes : Louise Abbéma y expose en 1890.
(2) L’Union des femmes peintre et sculpteurs a été fondé à l’initiative de la sculptrice Hélène Bertaux (1825-1909) en 1881 à Paris. C’est la première société de femmes artistes en France. Un salon est organisé chaque année dès 1882.
(3) Paul Sentenac, "Marie-Anne Camax-Zoegger", in. L'Art et les Artistes, 1er mars 1936, p. 346.

Alix Aymé (1894 – 1989)

Alix Aymé (née Hava) nait à Marseille en 1894. Après avoir vécue dans le sud de la France, en Martinique et suite à un séjour en Angleterre, elle s'installe avec sa famille à Paris. Vers 1915, elle suit les cours artistiques de l’académie de la Grande Chaumière (1). Durant l’année 1917 elle rencontre le peintre Maurice Denis et devient l’une des premières apprentis des Ateliers d’art sacré en 1919.
En 1920, Alix Hava se marie avec Paul de Fautereau qui est nommé professeur de français à l’Institut franco-chinois de Shanghai puis à Hanoï. Suite à un séjour à Yunnan-Fou (capitale du Yunnan) en 1921, l'artiste, fascinée par la vieille cité, réalise de nombreuses œuvres.
En 1925, elle est nommé professeur de dessin de l’enseignement technique du cadre de l’Indochine et développe alors « une peinture lumineuses, aux couleurs rares et chatoyantes » (2).
A cette période, elle participe à plusieurs expositions : à Hanoï, Saïgon mais aussi à Paris, à la galerie Druet et au Salon de la Société coloniale des artistes français. Son œuvre y est remarquée et elle obtient plusieurs commandes de décorations : le Palais royal de Luang Prabang au Laos ou pour l’Exposition coloniale de 1931 à Paris. Pour réaliser ces décors et décrire au mieux les paysages et la vie laotienne, Alix Aymé visite les confins du Laos qu’elle racontera par la suite dans la presse française. C’est lors d’une excursion qu’elle rencontrera Georges Aymé et qu’elle épousera en 1931. La même année, elle présente plus de soixante œuvres à l’Exposition coloniale à Paris.
En 1935, une grande exposition lui est entièrement consacrée à Hanoï.
Après avoir commencé à pratiquer la peinture sur soie dès 1930 et représenter de nombreux portraits de femmes et d’enfants, elle se tourne vers un genre nouveau à partir de 1940 : la nature morte qu’elle couple à l’étude de la laque à laquelle elle se consacre dès 1941.
Après la disparition de son fils, elle rentre définitivement en France en 1946. Elle privilégiera presque uniquement la technique de la laque dans son œuvre. Considérée comme une des rares spécialistes de la laque en France, elle écrivit un article à ce propos en 1952.

« La laque, comme la musique, adoucit les mœurs. »

Alix Aymé, « La laque en Indochine et l’École des Beaux-Arts d’Hanoï », in. Revue des Études d’Outre-Mer, 1952, p. 412.
Le Fonds d’art contemporain conserve cinq œuvres d’Alix Aymé. Ces œuvres ont été acquises entre 1955 et 1969 et se composent de deux laques et de trois peintures sur soie.
La laque intitulée Bouquet de fleurs qui a été acquise en 1957, s'inscrit dans la production de l'artiste de cette période qui est de réaliser des œuvres aux motifs inspirés de ces voyages et séjours asiatiques. Présentant régulièrement ses laques lors d'expositions à Paris, Bouquet de fleurs a certainement été acquise à la suite d'une de ses expositions.
Jusqu'à la fin de sa vie, Alix Aymé produisit des œuvres avant de s'éteindre en 1989.

« Ces plages de couleur d'une matière si fine et aux frontières si nettes, réduisent l'espace à des plans superposés et, - supprimant le modelé, - confèrent au trait la valeur qui nous frappe chez nos primitifs et dans les estampes chinoises. »

Marcel Aymé, Carton d'invitation pour l'exposition "Laques d'Alix Aymé", 17 juin 1949, p. 4.
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(1) L’Académie de la Grande Chaumière est fondée en 1904 par les artistes suissesses Martha Stettler et Alice Dannenberg.
(2) Werner Gagneron, "Alix Aymé", in. Arielle Pélenc (dir.), Artistes voyageuses : l'appel des lointains, 1880-1944, 2022, p. 209.

Marguerite Jeanne Carpentier (1886 – 1965)

Née en 1886 à Paris, Marguerite Jeanne Carpentier intègre l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1903 dont elle sort diplômée en 1909.
Dès 1912, elle expose pour la première fois à la Société Nationale des Beaux-Arts dont elle deviendra sociétaire en 1925. Elle y exposera de nombreuses œuvres jusque dans les années 1950 ainsi qu’au Salon des Indépendants.
A la suite de ses études et en parallèle de ses expositions, Marguerite Jeanne Carpentier ouvre un atelier à Paris en 1919. Elle s’entoure d’une vingtaine de jeunes femmes soucieuses de recevoir les cours de cette artiste protéiforme. Exerçant la peinture, le dessin et la sculpture, Marguerite Jeanne-Carpentier a des sujets de prédilections tout aussi variés : les portraits et autoportraits, l’étude de nu, les paysages, les rues de Paris.
Ce non-cantonnement dans les genres picturaux est démonstratif d’une volonté de ne pas appartenir à une idée préétablie des femmes artistes :

« Il faut s’incliner […] devant le vigoureux effort de Mme Marguerite Carpentier, dont le robuste talent ne redoute pas les grands sujets. »

Minerva : le grand illustré féminin que toute femme intelligente doit lire, 2 juin 1929, p. 7.
Passionnée par l’étude du corps comme le révèle son important travail de recherches anatomiques au travers des innombrables esquisses et croquis qu’elle réalise, elle permet de transmettre cette passion à ses élèves en faisant venir dans son atelier autant des modèles femmes que des modèles hommes. Cette nouveauté tend à rompre avec les règles établies durant des décennies qui dictaient que les femmes artistes ne pouvaient pas assister à des cours de modèles vivants.
Parmi ses élèves on compte notamment Charlotte Musson, Hélène Lamourdedieu et Frédérique Knoeri dont le Fonds d’art contemporain conserve des œuvres.
Entre 1928 et 1958, la Ville de Paris acquière 8 œuvres à Marguerite Jeanne Carpentier.
L’aquarelle Maisons près de la Porte Saint-Martin est l’une des dernières achetées en 1958. Réalisée le 14 septembre 1951 elle s’inscrit dans la série des vues parisiennes que l’artiste aimait tant. Elle écrit d’ailleurs dans son Journal :

« C’est la magie de Paris de transformer, grâce à son atmosphère, les édifices les plus quelconques en des visions colorées et grandioses. »

Journal de l'artiste, 12 février 1948
A la suite de son décès, Marguerite Jeanne Carpentier, célibataire et sans enfants, tombe dans l’oubli. Le contenu de son atelier est mis en vente à l’hôtel Drouot.

Jeanne Thil (1887 – 1968)

Jeanne Thil est née en 1887 à Calais. A dix-huit ans, elle déménage à Paris afin d’étudier à l’École nationale des Arts Décoratifs et est admise en 1908 à l’École des Beaux-arts de Paris. A partir de 1915, elle enseigne le dessin dans les écoles de la Ville de Paris lui permettant d’obtenir un revenu nécessaire pour poursuivre sa carrière. En 1917 elle voyage en Espagne et en rapporte des œuvres colorées qu’elle présentera à Paris :

« Elle a rapporté d’Espagne des toiles sincères, personnelles, d’une couleur éloquent et riche. Elle rend avec vigueur l’âpre désolation des paysages ibériques » (1).

La Ville de Paris lui achète une œuvre en 1918 et deux nouvelles au Salon des artistes français en 1919.
En 1920, suite à sa participation au Salon des artistes français, elle obtient une médaille d’argent et une bourse de voyage. Elle choisit de partir à nouveau pour l’Espagne avant de franchir la Méditerranée pour séjourner en Tunisie – pays qu’elle affectionne et où elle effectuera de nombreux séjours tout au long de sa vie.
Les nombreux croquis qu’elle en ramène se transforme en toiles colorées et vivantes. En 1924, elle obtient la médaille d’or au Salon et remporte le concours pour décorer la salle du conseil municipale de l’Hôtel de Ville de Calais. Sa carrière d’artiste est jalonnée de voyages et de commandes pour des édifices, pour les expositions coloniales… Avec l’essor du tourisme, elle devient créatrice d’affiches publicitaires pour les compagnies de voyage.
En 1933, le critique d’art Camille Mauclair publie un article sur Jeanne Thil dans L’art et les artistes :

« C’est rapidement, en une douzaine d’année, que cette jeune artiste a su, par le seul mérite de son œuvre, se placer au premier rang non seulement des femmes peintres, mais des peintres d’histoire et d’orientalisme de ce temps. »

Camille Mauclair, « Jeanne Thil », in. L’Art et les Artistes, n°138, 1er mars 1933, p. 298.
Jeanne Thil obtient la Légion d’Honneur en 1938 et il faudra attendre l'année 1958 pour qu'une exposition monographique présentant plus d'une centaines ses œuvres soit organisée et présentée au musée de la France d’outre-mer à Paris et au musée de Calais.
La Ville de Paris lui achète des œuvres avant et après la Seconde Guerre mondiale. C’est le cas de Tente de nomades à Sousse acquise en 1959. Achetée 55 000 francs, ce montant témoigne de l’importance et de la reconnaissance que Jeanne Thil a conservée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (contrairement à de nombreux·ses artistes) mais aussi de la volonté de compléter la collection de l'artiste dans le fonds de la Ville. Tente de nomades à Sousse décrit une scène du pays cher aux yeux de l’artiste : la Tunisie.

« La Tunisie représente l’aboutissement de la quête méditerranéenne de l’artiste. Au cours des décennies suivantes et jusque dans les années 1960, Jeanne Thil n’a de cesse de fixer sur la toile ses visions tunisiennes. »

Dossier de presse, Exposition "Peintures des lointains. Voyages de Jeanne Thil" présentée au musée des beaux-arts de Calais, 2020, p. 7.
Sa palette aux couleurs vibrantes est emblématique de l’art qu’elle a développé à la suite de son premier séjour tunisien. Le cadre de l’œuvre, d’origine, vibre lui aussi grâce à cette bande rouge sur le pourtour.
En 1962, elle obtient une dernière commande d’une peinture monumentale pour le paquebot France. Jeanne Thil s’éteindra quatre ans plus tard, à l’âge de 81 ans.

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(1) Note pour l’Inspecteur des Beaux-Arts, 25 juin 1917, Archives de Paris - Fonds Perotin

Sources bibliographiques

Madeleine Bunoust, Quelques femmes peintres, 1936.
Henri Jeanpierre, Hélène Dufau : peintre, au temps du symbolisme, 1977.
Mayi Milhou, De lumière et d'ombre Clémentine-Hélène Dufau, 1997.
Marion Boyer, Une école de femmes au XXe siècle, 1998.
Marie-Jo Bonnet, Les femmes artistes dans les avant-gardes, 2006.
Denise Gellini, Louise Abbéma : peintre dans la Belle époque, 2006.
Catherine Gonnard, Élisabeth Lebovici, Femmes artistes, artistes femmes : Paris, de 1880 à nos jours, 2007.
Pierre Sanchez, Dictionnaire de l'Union des femmes peintres et sculpteurs : répertoire des artistes et liste de leurs oeubres, 1882-1965, 2010.
Arielle Pélenc (dir.), Artistes voyageuses : l'appel des lointains, 1880-1944, 2022.
Emma Samson, Angèle Delasalle (1867-1939) : étude et mise en perspective de ses nus féminins parmi ceux des autres artistes femmes au tournant du XXe siècle, mémoire d'étude, 2023.